Préface du livre "REMARQUES SUR LA NOBLESSE" d'Antoine MAUGARD, 1788
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"REMARQUES SUR LA NOBLESSE" d'Antoine Maugard Réf. RN, Réédition en fac-similé, 336 pages, 39 €
Étude très précieuse sur les preuves de noblesse complétée par des analyses
très documentées sur la dignité de chevalier et la valeur du titre d'écuyer.
ce livre dévoile des projets de réforme du second ordre : établissement
d'une caisse de secours pour la noblesse pauvre, réforme des anoblissements,
création d’une chambre héraldique.
Antoine Maugard
Antoine Maugard naquit le 17 août 1739 à Château-Voué dans le diocèse
de Metz. Très tôt, il s'intéressa au droit et à la jurisprudence et montra
un grand souci de la précision ainsi qu'une grande perspicacité dans la
recherche et l'interprétation des documents anciens.
Après avoir achevé son droit à Paris, il fut nommé commissaire du Roi
pour la recherche et la vérification des anciens documents de droit et
d'histoire, activité qui correspondait à sa formation et ses goûts. Ce fut sa
principale activité jusqu'en 1786.
Devenu en raison de sa réputation généalogiste de l'Ordre de Saint-Hubert
de Bar et de plusieurs chapitres nobles de son pays d'origine, il se consacra à
la généalogie dont il devint l'un des spécialistes.
A son retour à Paris en 1787, il publia ses " Remarques sur la
noblesse dédiées aux assemblées provinciales " qui furent rééditées
en 1788 avec un apparat critique et des études remarquables. C'est ce livre
très documenté qui a retenu notre attention et a été reproduit. Parallèlement, dans sa "lettre à Monsieur Chérin, sur son abrégé
chronologique d'édits concernant la noblesse" il dévoilait sur la place
publique son différend et sa rivalité avec Louis-Nicolas Hyacinthe Chérin, le
généalogiste des ordres du Roi.
Malgré ces controverses, Antoine Maugard prévoyait de publier un
"code de la noblesse", travail qu'il n'eut pas le temps d'achever,
d'autant que la suppression des privilèges du 4 août 1789, puis de la noblesse
le 19 juin 1790, entérinée par la constitution du 3 septembre 1791, ainsi que
les bouleversements politiques ne lui permettaient plus d'en assurer la
diffusion.
Il publia alors un journal qui n'eut qu'une brève existence, puis il
s'intéressa à l'enseignement de la jeunesse. Le Mercure de France du 9
novembre 1793 reproduisit le discours sur l'instruction publique qu'il prononça
à la barre de la Convention et qui lui permit, avec son activité pédagogique,
d'être compté en 1795 au nombre des gens de lettres ayant droit aux
"récompenses nationales".
Parallèlement, Antoine Maugard étudiait les langues française et latine,
tant du point de vue de la grammaire que de la littérature. Parurent ainsi un
"discours sur l'utilité de la langue latine, contenant l'exposé de la
méthode la plus simple et la plus prompte d'enseigner cette langue avec la
française", des "remarques sur la grammaire latine de Lhomond",
un "cours de langue française et latine" en 1808 et un "traité
de la prosodie française de l'abbé d'Olivet" en 1812… En outre, zélé
pédagogue, il forma gratuitement plusieurs élèves et souhaita ouvrir une
école latine, ce qu'il n'obtint de l'université qu'à la veille de sa mort, le
22 novembre 1817.
II - Antoine Maugard et Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin
Les relations entre Antoine Maugard et le généalogiste des Ordres du Roi
commencèrent sous des auspices favorables. Remarqué par Bernard Chérin, père
de Louis-Nicolas-Hyacinthe, Antoine Maugard travailla en tant que commis sous
ses ordres, mais bientôt une brouille vint mettre fin à cette collaboration.
L'origine en était, selon Chérin "un soulèvement de commis" ; il
s'agissait, selon Antoine Maugard, d'intrigues liées à la succession de
Bernard Chérin qui avait négligé de "prendre des précautions pour
assurer la survivance de sa charge de généalogiste des ordres du Roi au profit
de son fils" comme il le lui avait conseillé deux ans auparavant.
En effet, une dizaine de candidats pouvaient revendiquer cette charge et
Louis-Nicolas-Hyacinthe n'avait que 23 ans lorsque son père s'éteignit le 21
mai 1785 ; or 25 ans était l'âge exigé. Grâce à l'entremise de
l'archevêque de Bourges, chancelier des Ordres du Roi, et membre de la
puissante famille des Phélypeaux, il fut, malgré l'avis du Baron de Breteuil,
ministre de la maison du Roi, décidé que Berthier, le commis préféré de
Bernard Chérin, assurerait l'intérim jusqu'à ce qu'en 1787
Louis-Nicolas-Hyacinthe ait atteint les 25 ans fatidiques.
Il n'est pas douteux que cet arrangement favorable à
Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin ait suscité des critiques et des envieux,
d'autant que le futur généalogiste des Ordres du Roi, s'il était intelligent,
était également obstiné.
Doit-on ajouter qu'Antoine Maugard l'était autant et pouvait s'appuyer sur
une expérience reconnue, puisqu'il avait été nommé généalogiste de l'Ordre
de Saint-Hubert de Bar et de divers chapitres nobles, ce qui explique sans doute
l'agressivité qui culmina lorsque Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin lui fit
retirer cette charge pour l'attribuer au Cabinet des Ordres du Roi, c'est à
dire en fait à lui, lors même que, par son attitude, il s'était aliéné
Berthier qui prit sa retraite dès avril 1787.
Mais, au delà du heurt de ces deux personnalités, se profile le problème
de la vérification des titres de la noblesse et de l'importance de la charge de
généalogiste des Ordres du Roi.
III - Les généalogistes des Ordres du Roi
La charge de généalogiste des Ordres du Roi fut créée par Henri IV pour
vérifier, à l'origine, la qualité des futurs chevaliers des Ordres du
Saint-Esprit et de Saint-Michel. Son ressort s'étendit aux preuves de noblesse
pour l'Ordre du Mont-Carmel et de Saint-Lazare, à celle du chapitre Saint Louis
de Metz, puis à celles des Chevau-Légers de la garde du Roi, des
sous-lieutenances, des cadets gentilshommes des colonies, des lieutenants des
maréchaux de France, enfin à celle des honneurs de la cour. La charge, en
partie concurrente, de Juge d'armes de France concernait, quant à elle, outre
la vérification des armoiries, les preuves pour les pages, pour les écoles
royales militaires et pour l'admission des demoiselles à Saint-Cyr et à l'Enfant-Jésus.
Ces attributions, à l'exception des preuves pour les pages, étaient d'un
moindre rapport financier pour les généalogistes.
Formé par les bénédictins de Saint-Maur, élève puis successeur admiré
et compétent de Clairambault et de Beaujon, Bernard Chérin avait porté haut
la renommée de sa charge et avait été anobli en 1774 par Louis XVI. Mais
cette réussite cristallisait le mécontentement et l'envie. En outre, la perte
de certains documents, la lenteur des dossiers, les décisions plus conciliantes
du conseil des dépêches, compétent pour les confirmations ou reconnaissance
de noblesse, enfin les idées de l'époque firent que l'on accepta avec de plus
en plus de réticences qu'une seule personne décidât sans appel.
Se fit jour alors l'idée d'une commission ou d'un conseil, tribunal de la
noblesse ou autre, pour assurer ce rôle.
Plusieurs projets de cette nature virent le jour, préconisant en outre de
fusionner ou d'associer le cabinet du généalogiste des Ordres du Roi avec
celui de juge d'armes.
Dans ses "Remarques sur la noblesse" Antoine Maugard accorde son
suffrage à ces réformes, prônant un conseil inspiré d'institutions
étrangères telles que les chambres héraldiques d'Angleterre et des Pays-Bas
autrichiens, les chambres ou directoires de la noblesse du Saint-Empire, de la
Suède ou de la Russie ; mais il voulait aussi restaurer l'autorité morale et
supérieure du Roi d'armes qui devait être aux mains d'un gentilhomme…
La révolution qui entraîna la suppression du second Ordre en 1791 fit
avorter tous ces projets.
IV - Les remarques sur la noblesse d'Antoine Maugard
Comme beaucoup de ses contemporains, Antoine Maugard pensait que le second
ordre était en butte à deux problèmes cruciaux : l'usurpation de qualité et
l'appauvrissement de ses membres.
a) L'usurpation de qualité
L'importance de l'usurpation de noblesse, au XVIIIe siècle, apparaît bien
exagérées, quelque peu obsessive : Antoine Maugard partage l'opinion de ses
contemporains comme de son rival L.N.H. Chérin. Celui-ci écrivait en 1788 dans
son abrégé chronologique qu'il fallait "réprimer la licence effrénée
des usurpations dont le progrès est non moins funeste à la noblesse, que
préjudiciable au reste de la nation […] Combien n'est-il pas déplorable de
voir que les effets en deviennent de jour en jour aussi pernicieux. Ils
altèrent la pureté de la noblesse et en dégradent la possession aux yeux de
ceux pour qui ses honneurs et ses prérogatives auraient été un juste motif
d'émulation […] Le mal s'est accru avec une telle rapidité qu'il est de nos
jours presque universel". Il ajoutait "on voit aujourd'hui
généralement dans tous les actes publics passés devant notaires, dans les
actes de célébration de mariage, de baptême et de sépulture et jusque dans
les tribunaux même, usurper avec audace et sans aucune espèce de retenue, des
qualités nobles lorsqu'on n'est véritablement que roturier par la naissance…"
Antoine Maugard, quant à lui, va même jusqu'à avancer le nombre de 20.000
usurpateurs Il semble qu'il s'agit là plus d'une psychose que d'une réalité. En effet, au
XVIIIe siècle, le perfectionnement de la monarchie administrative, les
réformations de la noblesse entreprises par Louis XIV, l'action des intendants
et des commissaires du Roi, mais aussi des tribunaux (Parlement, Chambres des
comptes, Chambres des aides) y avaient mis les bornes et traquaient avec
sévérité les abus. Localement, les contribuables, lors de la perception des
impôts, cherchaient à restreindre le nombre des privilégiés et des
exemptions fiscales pour diminuer la quote-part de chacun.
b) L'agrégation à la noblesse
L'usurpation, très réduite au XVIIIe siècle par rapport aux siècles
antérieurs, pouvait paraître le coté négatif de l'agrégation à la
noblesse. Cette agrégation avait été officialisée par Saint Louis sous la
dénomination de "tierce foi". Ce n'était que la reconnaissance d'un
usage assez général : étaient reconnus nobles les descendants d'un roturier
acquéreur d'un fief, s'ils le conservaient pendant trois générations
(acquéreur compris), prêtaient hommage et partageaient noblement ledit fief,
c'est à dire d'une manière avantageuse pour l'aîné.
L'influence de la tierce foi se dessine aussi dans les déclarations de
Louis XIV, en date du 8 décembre 1699, et de Louis XV, en date du 7 octobre
1717, qui admettaient comme preuve de noblesse, le port du qualificatif
d'écuyer ou de chevalier pendant trois générations successives ou une
possession centenaire sans contestation ou procès.
Au milieu du XVIIIe siècle, la création de ce qui fut dénommé la
noblesse militaire par l'édit royal du 25 novembre 1750, spécifiant que trois
générations successives d'officiers décorés de la croix de chevalier de
Saint Louis conféraient la noblesse, est redevable d'un semblable état
d'esprit.
c) L'anoblissement
L'opinion semble en fait, au XVIIIe, avoir associé dans une même
réprobation usurpation et vente ou achat de lettres de noblesse, et amalgamer
abusivement privilégiés et nobles. Curieusement, le premier abus présumé,
celui de vendre des lettres de noblesse, paraît très restreint durant ce
siècle ; seules à son début, les guerres coûteuses de la fin du règne de
Louis XIV obligèrent la monarchie à utiliser cet expédient, encore que
beaucoup de ces lettres eussent été annulées par la suite. Quant à l'achat
de ces lettres de noblesse, il ne concerne tout au plus qu'un tiers des 3.000
charges (celles de conseillers- secrétaires du Roi en particulier… la
savonnette à vilains pour les censeurs). Encore fallait-il, pour les plus
favorables, 20 ans d'exercice ou… la mort en charge ! Et pour les autres,
l'exercice successif de deux membres d'une même famille (père, puis fils) pour
obtenir cette qualité. Antoine Maugard paraît d'ailleurs englober dans une
semblable désapprobation " l'achat " et l'usurpation de noblesse
comme entraînant une surcharge pécuniaire pour le peuple. Il conseille de
diminuer " le nombre des anoblis par charges pour augmenter celui des
anoblis pour services rendus ", souhaitant qu'il n'y ait par année "
qu'environ 10 nobles par charges et 40 anoblis pour services rendus. Il en
résulterait un très grand bien et il n'y aurait que 50 nouveaux nobles au lieu
de 150 " … Ce faisant, il remettait en cause les hautes charges de
judicature, les cours souveraines… et toutes les charges anoblissantes.
d) La noblesse et les privilèges
Plus crédible était la critique à l'égard de la profusion des
privilégiés qui, à des titres divers, jouissaient d'exemptions fiscales.
Les privilégiés étaient aussi bien le soldat gradé non noble qui, en
activité ou retiré après un nombre d'années variable selon son grade,
échappait alors à la taille, que les détenteurs d'office de judicature ou
autres, les habitants de certaines villes… et les commensaux, c'est à dire
tout ceux qui étaient rattachés à la maison du Roi ; Cette dernière
catégorie étant très extensible. Étaient ainsi concernés les huissiers,
fourriers, ciriers, valet chauffe-cire, porte-coffres, officiers suppôts
servant dans la grande chancellerie… mais aussi éventuellement leurs veuves ;
Tous étaient exempts de la taille, impôt roturier s'il en fut, mais aussi des
aides et des gabelles.
Ainsi, lorsque L.N.H. Chérin écrit que sur la " multitude innombrable
de personnes qui composent l'ordre des privilégiés, à peine un vingtième
peut-il prétendre véritablement à la noblesse immémoriale et d'ancienne race
", il est probable qu'il était bien en dessous de la vérité ;
D'ailleurs, n'indique-t-il pas qu'en 1666 il n'avait recensé en Bretagne que
2084 familles nobles, en Languedoc 1627, en Touraine, Anjou et Maine 693, en
Champagne 514 ; Ces chiffres sont plus que modestes.
e) Le problème de l'armorial de la noblesse
L'assimilation entre privilégiés et nobles était d'autant plus tentante
qu'à la différence d'autres pays il n'existait pas en France de tables
généalogiques, et le catalogue général de la noblesse du royaume, prévu par
les arrêts du Conseil en date du 15 mars 1669, du 2 juin 1670, des 10 avril et
12 juin 1683 et du 11 mai 1728… ne fut jamais réalisé par les
généalogistes des Ordres du Roi. Quant aux juges d'armes de France, les
d'Hozier, ils n'avaient pas été à même d'achever l'armorial de la noblesse
prévu et décidé à la même époque. Ainsi, généalogistes des Ordres du Roi
et juges d'armes de France prêtaient à la critique ; Et l'on comprend que
certains aient voulu créer un organisme nouveau pour réaliser ce recensement
à l'exemple d'Antoine Maugard. Ce dernier proposait en outre de mener une
recherche de la noblesse française suivant l'exemple de réformation engagée
par Louis XIV.
f) Complexité des preuves de noblesse en France
Il est probable que cette enquête aurait été longue, car pour éviter
toute erreur, les conseils et généalogistes français, depuis Louis XIV,
avaient posé avec rigueur les méthodes pour établir une filiation et les
preuves de noblesse. Les principes en étaient qu'il fallait produire des titres
originaux : aucune copie collationnée n'était admise et un acte original
notarial ne pouvait être qu'une première grosse délivrée sur les minutes par
celui qui les avait reçues. Seuls étaient valables les procès-verbaux de
noblesse et autres reconnaissances ou décharges donnant la noblesse, ainsi que
les expéditions délivrées par les greffiers et autres personnes publiques à
ce préposées. La filiation pour les XVIe, XVIIe et XVIIe siècles devait être
établie par trois actes ; deux seulement étaient nécessaires pour les
siècles antérieurs, avec des qualifications que seule la noblesse pouvait
porter ; Et nulle part, sauf dans les colonies, n'étaient acceptés les actes
de notoriété. Encore devaient-ils être établis par les conseils supérieurs,
et non par les gentilshommes du ressort comme cela se pratiquait en Irlande,
Écosse, Angleterre, Pologne et dans l'Empire. La complexité et la rigueur des
preuves " à la française " avaient probablement été la cause de
l'échec de tout " inventaire de la noblesse ".
Cette rigueur et l'absence de recensement général du second ordre avaient deux
conséquences : la croyance à une noblesse pléthorique et à des usurpations
innombrables, et à la difficulté pour une noblesse souvent ancienne, mais
pauvre, de faire ses preuves, alors que la monarchie et les esprits éclairés
cherchaient à l'aider en créant des institutions éducatives . Bien plus, au
XVIIIe, malgré les anoblissements, le nombre des familles du second ordre
semble avoir décru. Selon les études les plus récentes, on dénombrait
135.000 personnes pour 27.000 foyers, chiffres déjà avancés par Taine, alors
que Chérin dénombrait 17.000 familles, ce qui correspondait à 340.000
individus ; d'Hozier, quant à lui, estimait ce chiffre à " 146.000
maisons nobles (foyers) comprenant 436.000 têtes ". Le pourcentage
raisonnable par rapport à l'ensemble de la population se situerait entre 1 et
1,3%. Doit-on ajouter que grands étaient les clivages à l'intérieur de
l'Ordre ; déjà à la fin du XVIIe siècle, selon les registres de la première
levée de capitation, ses représentants sont situés dans 22 classes sur 24 et
taxés de 6 à 1500 livres… un rapport de 1 à 250 !
g) La noblesse et les institutions d'aide
Pour bénéficier de ces institutions, tels le collège des 4 nations fondé
par Mazarin..., Saint-Cyr par Louis XIV et madame de Maintenon..., les écoles
royales militaires par Louis XV..., il fallait faire ses preuves. Ainsi, les
demoiselles capables d'entrer à Saint-Cyr devaient fournir, à partir de 1736,
un extrait baptistaire légalisé, une attestation justifiant le peu de fortune
de leur famille signée par l'évêque du lieu, la première grosse du contrat
de mariage de leurs parents (ou une expédition délivrée par le notaire et
certifiée par le juge du lieu), les justifications de 140 ans de noblesse sans
anoblissement ni dérogeance. Après le 1er juin 1763, il fallut en outre,
l'attestation de service de dix années au moins dans les armées royales de
leur père ou de leur aïeul.
La multiplicité des pièces impliquait démarches et recherches, et par là
des dépenses élevées que la maison royale de Saint-Cyr ne remboursait à la
famille que lorsque la demoiselle était admise. Les preuves pour la maison de
l'Enfant-Jésus étaient les mêmes que pour les 250 jeunes filles de Saint-Cyr,
mais au lieu de 150 années de noblesse il en fallait 200 !
Les jeunes gentilshommes, quant à eux, étaient concernés par les écoles
royales militaires. Pour être l'un des 500 heureux bénéficiaires, il fallait
prouver quatre degrés de noblesse paternelle (le candidat inclus), énoncés
sur titres originaux pour chacun des degrés de la filiation. Cependant, pour
ces écoles, le Roi prenait à sa charge les frais de preuve de noblesse car
selon la déclaration de Louis XV du 22 janvier 1752 : "Après
l'expérience que notre prédécesseur et nous-même avons faite de ce que
peuvent sur la noblesse française les seuls principes de l'honneur, que n'en
devrions-nous pas attendre si tous ceux qui la composent y joignaient les
lumières acquises par une heureuse éducation" ; Pour se faire, sans
augmenter les charges du reste de la population, " nous avons résolu de
fonder une école royale militaire et d'y faire élever sous nos yeux 500 jeunes
gentilshommes nés sans biens, dans le choix desquels nous préférerons ceux
qui, en perdant leur père à la guerre, sont devenus les enfants de l'état
". Mais, comme l'écrit Maugard, " le gentilhomme pauvre garde ses
enfants chez lui parce qu'il n'a pas les moyens de les placer : où
trouvera-t-il de quoi fournir à la dépense qu'il sera obligé de faire pour
rassembler les titres dont il aura besoin, si on le force à prouver sa
noblesse, pour continuer à jouir de ses privilèges ? ". Il s'agissait
notamment de privilèges fiscaux comme l'exemption de la taille, alors que les
traitants et collecteurs étaient sans pitié pour les gentilshommes besogneux,
surtout s'ils étaient démunis de relations et de documents. Aussi Antoine
Maugard préconisait-il une caisse d'entraide de la noblesse pour compléter
l'action menée par les institutions récemment créées, comme celle de
Mirecourt due aux soins de Madame Adélaïde. Mais la condition de gentilhomme
était devenue d'autant plus difficile que les impôts établis depuis le début
du XVIIIe, tels les vingtièmes et la capitation, ne les épargnaient pas,
contrairement à ce que l'opinion voulait faire croire, n'envisageant en cela
que la taille.
De surcroît, d'autres établissements leur étaient inaccessibles faute de
moyens et, pour les hobereaux démunis, les places de pages de la Grande ou de
la Petite Écurie étaient à plus forte raison hors de portée ; Outre remonter
les preuves à 1550 en fournissant des titres en original, il fallait assurer à
leur progéniture une pension évaluée à 830 livres en 1733. Quant aux pages
de la Chambre avec le versement obligatoire de 200 livres pour le certificat de
noblesse et la généalogie dressée par les d'Hozier, leur entretien et leur
pension très coûteuse faisaient que leur place étaient réservées à la
noblesse ancienne très aisée.
Il en était de même pour certains ordres de chevalerie comme l'ordre de
Saint-Lazare, tant par le nombre de degrés de noblesse paternelle à prouver -
il passa d'ailleurs de 4 à 9 du début à la fin du XVIIIe siècle - que pour
les droits à payer. Ainsi échouera le projet de créer des commanderies pour
pensionner les gentilshommes blessés ou en fin de carrière militaire. Quant à
l'ordre joint de Notre-Dame-du-Mont-Carmel, quatre degrés seulement restèrent
nécessaires, mais seuls quelques élèves de l'école royale militaire purent,
suivant leur mérite personnel, l'obtenir avec une petite pension… En fait,
ces deux ordres unis étaient devenus des décorations.
h) Hiérarchie dans le second ordre
Antoine Maugard consacre une très intéressante part de son ouvrage aux
divers types de noblesse et différencie les membres du second ordre suivant
divers critères. Dans sa préface, il préconise un classement selon
l'ancienneté de la noblesse de chaque famille, ou plus exactement selon le
nombre de générations, car, écrit-il, "quand pour être admis dans la
première classe, il ne faudra que prouver un certain nombre de degrés sans
remonter à une époque fixée, il n'y aura pas d'entraves, personne n'en sera
exclu ; le nouvel anobli saura qu'à la dixième, douzième, fut-ce vingtième
génération, ses descendants y seront reçus ; cette espérance, cette
certitude sera d'avance sa félicité". Cette dernière assertion est
cependant contraire à la plupart des preuves exigées en France, à l'exception
des ordres militaires et religieux. Celles-ci imposaient de remonter à une date
fixe (Honneurs de la cour, pages, écoles royales militaires…). D'autre part,
Antoine Maugard souhaite que l'on crée un clivage entre les principales maisons
nobles de province et la noblesse ordinaire, entre la noblesse d'ancienne
extraction et les nouveaux nobles. Cette dernière idée correspond à la thèse
et à la jurisprudence nobiliaire qui admettaient aussi en certaines régions
qu'en cas de dérogeance la qualité de gentilhomme d'extraction était, à la
différence de l'anobli, imprescriptible. Mais Maugard pense qu'il faudrait
aussi introduire la notion de type de noblesse. Il semble là avoir été
inspiré par le règlement de l'impératrice de Russie en date du 29 avril 1785,
divisant en 6 catégories la noblesse suivant son ancienneté, son origine -
administration ou armée - ou pays étrangers.
i) Titres de noblesse
Quant aux problèmes et à la valeur des titres dont l'importance est
limitée en France par rapport à d'autres contrées comme l'Empire, l'Espagne
ou le Royaume-Uni, Antoine Maugard s'y intéresse au point de placer au même
rang l'usurpation de titres par des gentilshommes et celle de la noblesse par
les roturiers. Il suggère : " en recherchant les usurpateurs de noblesse,
il conviendrait de rechercher aussi les usurpateurs de titres de chevalier,
comte, marquis, etc... Il n'est pas plus permis à un noble d'usurper un titre
qu'à un roturier d'usurper la noblesse " ; ce qui est contraire à la
pratique en France. Car s'il est certain qu'il exista des règlements dans ce
sens, l'application en fut toujours négligée à l'égard des gentilshommes,
sauf pour le titre de duc.
Plus intéressante est son estimation du nombre de titres de marquis, comte,
baron à 8.000 dont 2.000 seulement le sont légalement, 4.000 dignes de
l'être, 2.000 faux ; il en est de même de sa proposition de régulariser ces
titres " dignes de l'être " moyennant finances : 1.500 livres pour
les titres de marquis et comte, 1.000 livres pour ceux de vicomte et de baron.
Son rival L.N.H. Chérin partage curieusement ce sentiment quand il énonce
" l'usurpation des titres de noblesse par les roturiers et des titres de
haute noblesse par celle qui est inférieure " est " un danger pour le
Second Ordre " avec " la manie de quitter la province ".
j) Assemblées provinciales et fiscalité
Ces " Remarques sur la noblesse adressées aux assemblées provinciales
" portent la marque de cette seconde moitié du XVIIIe siècle où
ressurgissent les particularismes et où s'affirment les élites locales alors
que naît une opinion publique versatile, donc portée à tous les engouements.
Dès Louis XV et les projets de Laverdy, la monarchie française y fut
sensible. Ainsi, de 1764 à 1789, peut-on noter la continuité entre les
initiatives successives, les plans de Turgot et de Dupont de Nemours, jusqu'au
réformes de Calonne.
Pour faire appliquer celles-ci, Louis XVI, par un édit en date du 22 juin
1787, créa des assemblées décentralisées à trois niveaux : le plus élevé
était celui de la province, puis à des degrés inférieurs celui des
élections et enfin celui des paroisses ou des villes. Le projet de Calonne,
dévoilé la même année à l'assemblée des notables, prévoyait des
représentants des trois ordres et tenait compte, pour les électeurs, du cens
c'est à dire des impôts payés. Les assemblées provinciales étaient, pour
une part fixe, nommées par le Roi et pour l'autre, élues. Pendant leur
intersession, un bureau et un procureur-syndic devaient siéger ; leurs
attributions portaient sur tous les anciens impôts, notamment sur leur
répartition. En outre, ces assemblées avaient le pouvoir d'adresser des
doléances au souverain.
Cette vaste réforme de 1787 devait s'étendre à tous le royaume et
permettre d'assurer des interlocuteurs au gouvernement, de donner des pouvoirs
accrus aux élites locales… et à plus long terme, de réformer le système
fiscal du pays et d'assainir le trésor obéré par la dette et les emprunts
consécutifs à la guerre d'Amérique. Le volet financier, dirons-nous, n'était
absent d'aucune de ces réformes ; il affleure d'ailleurs sans cesse sous la
plume des réformateurs et des écrivains, comme sous celle d'Antoine Maugard
dans ce livre.
Les assemblées créées en 1787, faute de temps et en raison des problèmes
budgétaires de la Monarchie, ne purent s'affirmer ; Leur échec, comme celui de
l'assemblée des notables réunie la même année par Louis XVI, entraîna la
réunion des États généraux, la fermentation des esprits, les intrigues, la
Révolution.
La confusion alors était grande ; ainsi un contemporain, membre du second
ordre mais élu par le tiers aux États généraux, prononça-t-il en substance
ces paroles prosaïques mais profondes : " les hommes, c'est comme les
poissons, ils pourrissent par la tête… " : il s'agissait de Mirabeau qui
ne fut pas pour rien dans le déclenchement fatal et tragique des passions.
V - Le second ordre à la fin de l'ancien régime selon le généalogiste
Antoine Maugard
ce livre rend compte à la fois de l'expérience d'un savant
généalogiste, mais aussi d'un esprit sensible aux controverses et aux
engouements de son époque à la veille de la révolution de 1789. Aussi,
complète-t-il également notre information par des analyses très documentées
sur la dignité de chevalier et la valeur du titre d'écuyer. Il nous dévoile
les projets de réforme du second ordre dans l'optique du siècle des lumières
foisonnant d'utopies. Doit-on ajouter qu'Antoine Maugard semble sur ce point
avoir été plus prudent et réservé, moins dupe de son époque que son rival
Chérin. Celui-ci ne déclarait-il pas dans le préambule de son abrégé
chronologique : " Dans l'ordre de la nature, les hommes naissent égaux et
libres. L'esclavage, né de la force, ne put former d'abord une inégalité
réelle dans l'espèce humaine, par la raison que ce pouvoir n'étant point
alors légitimé par une convention sociale, était nécessairement nul et
périssable par les changements divers que devait éprouver la cause qui l'avait
fait naître. Ce ne fut que lorsque, dans le progrès des choses, le droit
positif succéda à la violence, que l'établissement des lois et de la
propriété fixa pour toujours l'inégalité des conditions " mais
ajoutait-il, " La noblesse est une distinction d'État nécessaire à la
condition du royaume. Elle en est la force, elle en est le soutien, elle est
comme l'essence de la monarchie française. La maxime fondamentale d'une
monarchie, dit Montesquieu, est celle-ci : point de monarque, point de noblesse,
point de noblesse, point de monarque, mais on a un despote. "
L'année 1788 allait s'achever, Antoine Maugard allait devenir pédagogue,
Louis-Nicolas-Hyacinthe Chérin, général, et le despotisme serait autre que monarchique…